August 27, 2008

got to be crazy

Je l'avais oubliée. Cette image. Prise un matin crevard, en goguette dans un port des Açores, malgré la fièvre. On venait de marier le Guillaume, tous ensemble, à n'en pas dormir pendant une nuit puis la suivante, aussi. Ou presque, ou si peu. Un temps trop long, en somme. J'étais crevé, assommé, laissé pour mort, percé comme une vieille outre, laminé, éparpillé. Pas façon puzzle, plutôt façon poussière dans le vent. Dans ces conditions, il était certain que la climatisation de l'aéroport de Lisbonne me prendrait par revers et me foutrait en l'air. Ce qu'elle n'a pas manqué de faire, la garce.

On était en juin, et la grisaille était partout. L'anticyclone qui porte le nom de l'archipel ? Porté disparu. L'hôtel était beau, c'était le vieux fort qui gardait l'entrée de la baie, et on y avait laissé de vieux canons un peu rouillés. Je bravais les microbes avec les moyens du bord, j'ignorais - superbement, c'est-à-dire en me plaignant beaucoup - la fatigue, et j'allais voir la caldeira mais on ne voyait rien. Rien que de la brume. Un manteau de gris et de blanc. Un voile impénétrable. On aurait dit un oreiller, dans lequel j'aurais pu mettre ma tête pour me rendormir.

Et puis, la visite du port. Ce qu'il faut en savoir, rapidement : c'est là que presque toutes les traversées de l'Atlantique font escale et il est de coutume de laisser sa trace quand on jette l'ancre ici. Les marins s'improvisent alors peintre et portent le pinceau à même les quais et les jetées, partout où il reste de la place. On peint de petits carrés sur lesquels on dessine le nom du bateau, la date, parfois des noms ou une devise. La galerie d'autographes/graffitis couvrent maintenant quasiment toute la surface disponible. En marchant, on a l'œil attiré par les couleurs, on cherche des noms marquants, des références qui nous parlent. Et puis, après un "Born to run" très springsteenien et un "Shearwater" (comme le groupe), je vois celui qui fera mon bonheur :


Catch 22, c'est un petit bijou écrit par Joseph Heller, journaliste et vétéran de la deuxième guerre mondiale, publié en 1961 aux Etats-Unis. La traduction française (qui ne vaut pas tripettes) s'intitule "L'attrape-nigaud". Mike Nichols en a tiré un film avec Alan Arkin et Martin Sheen.

Catch 22, ce sont les aventures du capitaine Yossarian et des hommes basées avec lui sur une petite île au sud de l'Italie. Leurs missions : bombarder à bord de lourds, larges et vulnérables B25 la péninsule pour préparer l'avancée des troupes débarquées. Pour faire court, la base américaine est un nid de tarés. Seulement il y a le catch (le truc, l'astuce, le piège) n°22 : pour être réformé, même si on est devenu complètement dingue au front (et c'est le cas de Yossarian qui se balade à poil depuis que son coéquipier a saigné à mort sur ses fringues), il faut le demander ; mais un homme qui demande à être réformé pour échapper au feu est par définition sain d'esprit.
Yossarian : "Let me see if I've got this straight: in order to be grounded, I've got to be crazy and I must be crazy to keep flying. But if I ask to be grounded, that means I'm not crazy any more and I have to keep flying."
Pendant ce temps, le colonel en charge des opérations rêve de faire les titres de la presse grâce à son unité qui aura accompli plus de missions qu'aucune autre. Il relève donc à chaque fois qu'il est atteint le nombre de missions qu'un équipage doit accomplir. Le major est quant à lui terrifié par les hommes dont il a la charge depuis que l'un d'eux l'a bashé en jouant au basket, et un lieutenant se lance dans la contrebande de bouffe et de matières premières entre les différentes bases américaines. Il ira jusqu'à vendre les parachutes des bombardiers.

Dans la lignée de Mash (et son superbe "Suicide Is Painless") mais plus absurde encore, Catch 22 est une satire féroce de la guerre, de l'armée, mais aussi de la hiérarchie, de l'administration. Un roman truculent, drôle et inquiétant, comme si Kafka avait écrit une farce en lieu et place du Procès.

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