January 26, 2005

Petit(e), tu veux chanter ? [#1]

Au commencement était le DJ. Sur ses scratchs, ses mélanges et ses infernales improvisations, le MC, qui vint ensuite, était, à l'origine là pour haranguer la foule. Le duo ainsi constitué allait perdurer et évoluer, le MC à la voix tonitruante prenant le pas sur son compère aux doigts agiles, jusqu'à l'apparition, une décade plus tard, d'un troisième larron. Souvent une larronne en l'occurence puisqu'il s'agit, en fait, d'intervenants pourvus d'un organe particulièrement puissant, la plupart du temps de sexe féminin, et susceptibles de l'utiliser pour donner une tournure plus soul aux productions hip-hop des années 90 et suivantes.

Si Kim Gordon considère que "la dégénérescence du rythm & blues en R&B est la pire chose qui pouvait arriver à la musique noire américaine", nombreux sont également ceux qui pensent que l'irruption du refrain chanté à (très) forte connotation R&B marque le déclain du hip-hop vers des territoires de plus en plus commerciaux et de plus en plus normés. En somme, pour une Eryka Badu, combien de Beyoncé ?

Et pourtant, de la même manière que tous les producteurs ne sont pas égaux devant la tendance actuelle qui vise à incorporer de plus en plus d'influences rock dans leurs recettes, tous ne se contentent pas de demander à une enfant du destin de beugler trois notes sur le refrain.

Petite illustration :

1. Blackalicious



Si on ne présente plus Blackalicious, membre du Soleside Crew et auteur des excellents "NIA" et "Blazing Arrow", il me semble qu'on s'attache la plupart du temps à souligner l'indéniable et surprenant talent de Gift of Gab, probablement un des MCs les plus inventifs et les plus doués de tous les temps. C'est laisser dans l'ombre la prestation de Chief Xcel à la production. Blackalicious est peut-être le seul rap act contemporain, ou l'un de seuls, dans lequel on retrouve le joyeux bordel qui transpirait des productions d'avant 93, du temps où on ne se contentait pas d'une boucle et d'un beat pour faire un morceau. Le mérite en revient à cet homme, qui avoue passer jusqu'à trois jours d'affilée sur un son et qui marie, sans sourciller, emprunts au funk le plus groovy, trouvailles soniques plus ou moins burlesques, scratchs intempestifs, et drum sets explosifs.

Ecouter un album de Blackalicious, c'est se trouver dans un studio où coexistent harmonieusement 3 ou 4 batteurs épileptiques, une fanfare dopée aux corticoïdes, les musiciens de Sly & The Family Stone, Gil Scott-Heron en personne, une foultitude de chanteurs aussi braillards les uns que les autres et, au milieu, un chef d'orchestre qui parvient à vous faire croire qu'il fait n'importe quoi. Et qui (re)donne ainsi à une musique travaillée jusqu'à la moelle et sophistiquée comme un missile patriot une apparence de spontanéité. A concilier, en fait, exigence de qualité et envie de danser, permanence et légèreté, gravité et insouciance.

Et il arrive que ce monsieur, fier d'arborer des influences 70s parfaitement digérées et pas simplement recrachées telles qu'elles, offre l'un de ses écrins à un véritable fauve. Le dit félin, aka miss Jaguar Wright, entre avec intelligence et sensibilité dans le moule. Loin de se contenter d'un refrain stéréotypé, elle réhausse l'ensemble de la composition de ses habiles interventions, tout en retenue, ne laissant qu'entrevoir sa force et deviner sa puissance.

Blackalicious feat. Jaguar Wright - Aural pleasure [offline]
[from Blazing Arrow]

Jaguar Wright, auteur en solo de "Denials, Delusions & Decisions", intervient également sur le "Fight To Win" de Femi Kuti. C'est tout aussi saisissant.

Sur le même album, Chief Xcel met en lumière la voix de Keke Wyatt, qui fit partie d'une version protozoaire de Destiny's Child et dont j'ignore à peu près tout. Elle y révèle en tout cas un potentiel certain. Alors que la version de l'album représentait déjà un summum en matière de groove entrainant, Xcel ne s'en contente pas et livre sur l'EP "It's Going Down" un remix bluffant, même si la partie de Keke n'y est pas aussi présente que sur l'album

Blackalicious feat. Keke Wyatt - It's going down (Chief Xcel Remix feat. Taalib Kweli)
[from It's Going Down EP]

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Demain : Jaylib versus Jurassic 5

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